jeudi 26 avril 2012

Une grande artiste est née

On se souvient, comme d'une épiphanie, du premier contact avec Marie-Pierre Arthur. C'était sur scène, chez elle à Montréal, en novembre 2009. Le premier album éponyme de la chanteuse et bassiste, camarade de tournée d'Ariane Moffatt notamment, la première merveille de cette proche de Patrick Watson ou des brillants Karkwa (François Lafontaine est son compagnon de vie et a majoritairement produit Marie-Pierre Arthur), radicalement opposée aux habituelles et commerciales chanteuses à décibels de la Belle Province, était sorti au Québec quelques mois auparavant. On s'en souvient, c'est presque hier : on avait l’impression soudaine et frappante de découvrir, ébahi par ses chansons atmosphériques et en ruptures permanentes, charmé par la grande majesté de son folk-rock, lové dans son feu sacré et tempétueux, une cousine d’Arcade Fire, une sœur vocale de Feist. On découvrait, surtout, qu’il était possible d’appartenir à cette grande et belle famille, indépendante et chercheuse, en chantant en Français, en beau Français : miracle, une bonne étoile se levait au-dessus de nos têtes, la terre frissonnait de plaisir, une douce brise enveloppait nos cœurs. 

On se souviendra tout aussi longtemps du second contact avec Marie-Pierre Arthur : il aura pour cela fallu attendre trois ans et son deuxième album, Aux alentours. Trois ans, un bébé et, surtout, beaucoup de concerts, de contacts quasi-charnels et de communions physiques avec le public : de quoi offrir le désir de secouer un peu plus fermement les choses, de quoi donner envie de reprendre les choses à-bras-le-corps. Et si Aux alentours est dès la première écoute un tel choc, c'est justement parce qu'il a, quand ses quelques beaux et grands calmes laissent place à d'impétueuses éruptions, transformé la douce brise en tempête formidable et les frissons de terres en imparables secousses. "Je ne m'en suis rendue compte qu'après coup, mais Aux alentours est plus rock, plus cru que mon premier album, explique la jeune femme. Il est en partie ce qu'étaient devenus les morceaux en concert, ce que j'écoutais, ce dont j'avais, physiquement, envie de faire sur scène. C'est quelque chose qui me rend heureuse : collectivement, sur scène ou dans le public, les énergies se communiquent mieux dans quelque chose de plus rock."

Du bonheur, de l'énergie, du collectif : Marie-Pierre Arthur ne conçoit pas la création sans cet indispensable triptyque, typique d’un Québec à équidistance idéale des deux Mondes, celui de la chanson francophone et celui du rock anglophone. "Moi et François écrivons la base des morceaux à deux. Mais en studio, nous sommes un gang : c'est un tourbillon, on apporte tous nos idées, chacun teinte les morceaux à sa manière. Le premier album m'a permis de comprendre comment fonctionnait cette mécanique collective. J'ai installé quelque chose avec Marie-Pierre Arthur, j'ai regroupé des gens et on a poussé notre cohésion un peu plus loin, un peu plus haut sur Aux alentours." Comme son prédécesseur, Aux alentours a ainsi été créé à de multiples mains, et deux fois plus de cerveaux. Les textes en ont été coécrits, en échanges permanents, avec sa camarade Gaële. Parmi d'autres intervenants plus ponctuels, le batteur Robbie Kuster, collaborateur de Patrick Watson, a offert sa grande science ("Il joue de la batterie comme s'il chantait ; il y a de l'émotion dans tout ce qu'il fait"), le guitariste de Galaxie Olivier Langevin son bouillonnement inventif ("Un virtuose créatif, quelqu'un d'adoré au Québec et avec qui François a déjà beaucoup travaillé") ou Joe Grass (pedal steel et guitares) son génie technique.

Aux alentours a été enregistré au vénérable Studio Victor de Montréal par François Lafontaine. Dans une absolue liberté. "Certains éléments sont devenus plus gospels, par exemple, parce qu'il était hors de question d'arrêter de s'amuser, c'est pour nous un plaisir primordial. Tout le monde doit être parfaitement heureux dans ce qu'il fait, on rit en permanence ; et si ce n'est pas le cas, on a l'impression de ne pas bien faire notre travail." Pas un hasard donc si une telle énergie se dégage d'Aux alentours. Pas un hasard non plus si ce grand disque à l’impeccable production, se permet d'élargir les horizons de Marie-Pierre Arthur aussi loin que son regard infini peut porter -de la terre (sa basse) aux cieux (sa voix). D'un rock orageux ou sautillant (la rageuse introduction Fil de soie, les tubes Si tu savais ou Emmène moi) à une soul soyeuse (Encore là ou A partir de maintenant, étincelantes), d'un gospel aux chœurs majeur (All Right) à un folk à ronces (Les infidèles ou Chanson pour Dan, d’une délicatesse hors-normes), toujours dans une même splendeur, une même efficacité, des arrangements d'une rare amplitude, le flamboyant Aux alentours évoque autant le passé glorieux qu'un avenir radieux. Il invoque autant John Lennon que Gillian Welsh, les Pretenders que la Motown, autant Billy Preston que, surtout, Marie-Pierre Arthur elle-même : il confirme qu'une grande artiste est née, et qu'elle ne le doit finalement qu'à elle même.

Bio parue sur Universal Music France

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